COMMENTAIRE SUR LA CRITIQUE DE ROGER NORIEGA par Jean-Pierre Juneau

Jean-Pierre Juneau

J’ai été intéressé par les commentaires de Roger Noriega. Cet ancien responsable des affaires latino-américaines au Département d’État exprime certains points de vue avec lesquels je suis d’accord, mais pour ce qui concerne la Révolution cubaine, il faut bien avoir à l’esprit qu’en politique comme en physique, il n y a pas d’effets sans causes.

Pourquoi y a-t-il eu Révolution à Cuba si tout était alors aussi bien que l’écrit Noriega? La quasi-totalité de la population cubaine a appuyé Castro et sa Révolution contre la dictature de Batista supportée par les États-Unis. Ceci est un fait historique incontestable. Pourquoi en était-il ainsi?

A l’époque, les États-Unis appuyaient tout ce qu’il y a de dictature en Amérique latine, et ne se gênaient pas pour renverser les régimes politiques qui ne leur convenaient pas, Jacobo Arbenz au Guatemala, un pays complètement déséquilibré depuis cette époque et Salvador Allende comme tout le monde le sait, pour n’en nommer que deux. Ces Présidents avaient pourtant été élus on ne peut plus démocratiquement.

Les États-Unis ont tout fait pour déstabiliser le régime cubain des que les nationalisations ont commencé dans un contexte ou l’économie cubaine était largement contrôlée par le capital américain....et Castro a tout fait pour leur résister et se maintenir au pouvoir! Il est toutefois le seul à avoir réussi en Amérique latine!

Castro demeure encore aujourd’hui une figure populaire à Cuba bien que son temps soit largement dépassé. La transition et la transformation ont commencé lentement et progressivement dans un environnement ou les dirigeants actuels veulent éviter à tout prix une reprise en main de leur économie par les États-Unis et les exilés cubains. C’est une décision qui leur revient. La population ne semble par ailleurs pas tellement intéressée à connaitre une autre Révolution !

Noriega ne mentionne pas le maintien de l’embargo économique, un embargo qui n’a plus sa raison d’être et dont l’effet principal est de compliquer encore davantage la vie économique d’une population, et d’un pays encore largement sous-développé. Comment la poursuite d’un tel objectif peut-elle se justifier aujourd’hui ?

Il y a naturellement des éléments négatifs dans la société cubaine actuelle, mais il y a aussi beaucoup de facteurs positifs au chapitre des politiques sociales et de la criminalité. Pourquoi ne pas les noter? La liberté de culte est ré-établie depuis quelques années déjà, et l’on annonçait récemment que le Pape Benoit XVI effectuera une visite à Cuba l’an prochain, la deuxième visite d’un Pape dans ce pays.

Noriega mentionne pour les critiquer, la Bolivie, le Nicaragua et le Venezuela, trois pays ou les gouvernements ont été élus et réélus démocratiquement. Ces régimes ne sont pas parfaits, ni sur le plan politique, ni sur le plan socio-économique, mais ils représentent tout de même l’expression d’une volonté populaire que nous devons respecter en tant que démocrates. Ou existent les démocraties parfaites dans les Amériques?

Le régime cubain entretient des relations amicales avec la presque totalité des pays d’Amérique latine et des Caraïbes. La presque totalité des Présidents ou des Premier Ministres de ces pays ont effectué des visites à Cuba au cours des dernières années, et le nouveau Président d’Haïti vient justement d’effectuer sa première visite à l’étranger, à Cuba. Comment expliquer tout cela?

Le Canada a maintenu traditionnellement une politique d’ouverture et de disponibilité à l’égard de Cuba , une politique dont l’objectif n’était pas de promouvoir un éventuel changement de régime, mais d’amener ce pays a privilégier une plus grande libéralisation . Je crois que le régime est justement en train de s’engager modestement dans une telle politique comme on peut le constater avec la libération de prisonniers politiques au cours des derniers mois , et une plus grande ouverture au chapitre des politiques économiques. C’est ce qu’a toujours préconisé le Canada dans ses politiques à l’égard de Cuba que ce soit au niveau de nos relations économiques, de notre programme d’aide ou de nos contacts au niveau politique.

Cela dit, un grand objectif parmi tant d’autres qui nous restent toutefois à atteindre, réside dans l’élimination d’un embargo économique désuet qui répond à une logique d’une autre époque et dont l’effet est de retarder une libéralisation plus rapide de l’économie et de la société cubaine.

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