JustOttawa a la chance d’accueillir des articles sur le vin de Christian Lapointe. Christian est connu pour son « Le Billet du sommelier » qui a pour objectif de guider le consommateur ayant accès aux vins et produits spécialisés commercialisés par le secteur Vintages de la LCBO en Ontario. À tous les 15 jours, Vintages apporte autour de 125 nouveaux produits sur le marché. Christian, ambassadeur canadien à la retraite et sommelier depuis près de 40 ans sélectionne ses produits préférés et les propose à des milliers de consommateurs, restaurateurs, hôteliers et formateurs en sommellerie à chaque sortie bi-mensuelle depuis 1999 (avec interruption entre 2006 et 2010). Si vous êtes intéressés à recevoir ce billet gratuitement, n'hésitez pas à en faire la demande à l'adresse suivante: This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.
*****
AVRIL 2016
Expliquer et parler du vin
En abordant le sujet du vin, sans doute la première chose qu’il faut jurer de ne jamais faire, c’est de généraliser. Alors, établissons dès le départ, et ce, sur toute la ligne, qu’en explorant le sujet du vin, il nous faudra constamment « particulariser ». Vous l’avez bien compris, « particulariser » est bel et bien le contraire de « généraliser ».
Pour illustrer ce propos de manière évidente, prenons la carte de la France qui illustre les lieux géographiques où se trouvent les zones de production de vins. La France est tellement associée à la production du vin que l’on peut facilement croire que l’on peut y produire du vin n’importe où. Croyez-moi, les Gaulois ont essayé, depuis plus de 2,000 ans, d’en produire à peu près n’importe où sur leur territoire! Mais non, la production du vin ne se fait que dans des endroits où l’on y trouve les conditions nécessaires, à savoir, le micro climat offrant le bon sol, le bon ensoleillement, le bon degré de chaleur, l’orientation des pentes, l’alimentation en eau et bien d’autres facteurs encore définissant le terroir. Alors, voici la première « particularisation » qui s’y applique ! Donc, pas de généralité !!!
Afin de particulariser davantage mes propos tout en continuant de les illustrer, je vais vous présenter une autre carte, celle des principaux cépages cultivés sur ces différentes régions vineuses de France. Vous verrez que, dans chacune, on a trouvé les principaux cépages qui offrent les meilleurs résultats. Encore une fois, tous les cépages ne peuvent se cultiver n’importe où. Certains terroirs favorisent davantage certains cépages. Et c’est le même phénomène que l’on retrouve partout dans le monde où l’on cultive la vigne pour en faire du vin.
Selon le terroir du pays où sera cultivé tel cépage, il en résultera des arômes et des goûts particuliers. Certains cépages vont produire de meillers résultats en climat frais. Il en est ainsi pour le pinot noir en rouge. Pour les blancs, le riesling, le gewürztraminer et, jusqu’à un certain point le chardonnay, font des merveilles en climat frais. Ces choses ont été expliquées par la science moderne mais pendant des siècles, c’est au fil de l’expérimentation que l’on en venu à ces conclusions évidentes.
Le cas particulier du Canada
Une trop rapide généralisation des choses est bien souvent une manifestation d’une certaine ignorance d’un sujet. Dans le domaine du vin, prenons l’exemple du Canada. Bien longtemps, on a dit de ce pays que l’on ne pouvait pas y cultiver du vin qui vaille ! Si au moins on avait dit que le vin que l’on y a cultivé à date ne valait rien, on aurait été un peu plus proche de la vérité.
En effet, dans ce pays, au moment où les Européens le découvraient en 1534-1535, Jacques Cartier avait trouvé sur cette immense île devant le site de la ville de Québec d’aujourd’hui, le territoire couvert de vigne indigène de type Vitis riparia.
Extrait des relations de voyages de JACQUES CARTIER
Le 7 septembre 1535
«Après que nous fumes arrivez avecques les barques ausdictz navires, et retournez de la ripvière saincte Croix, le cappitaine commanda aprester lesdictes barques, pour aller è terre à ladicte ysle veoyr les arbres qui sembloient a veoir fort beaux, et la nature de la terre d’icelle ysle ; ce qui fut faict. Et [nous] estans à ladicte ysle, la trouvasmes plaine de fort beaulx arbres, comme chaisnes, hourmes, pins, seddrez et aultres boys de la sorte des nostres ; et pareillement y treuvasme force vignes, ce que n’avyons veu, par cy-devant à toute la terre; et pour ce, la nommasmes L’ISLE DE BASCUS . Icelle isle tient de longueur environ douze lieues et est moult belle terre [à veoir], et vnye, [mais est] plaine de boys, sans y avoir aucun labouraige, fors qu’il y a [aucunes] petites maisons, où ilz font pescherie, comme par cy davant est faict mentio.»
Avec les vignes de type Vitis labrusca, le Riparia était parmi les plus répandus en Amérique du nord et c’est avec ces types de raisins que l’on a produit pendant des siècles ce que l’on appelait les vins canadiens. Jacques Cartier lui-même, constatant le caractère amer et la puissante acidité de ces raisins, décida sur le chemin du retour, de ne plus baptiser cette île dite de Bacchus et lui octroyer le nom d’Orléans en l’honneur du Duc, fils du roi François 1er.
Les réputations sont parfois difficiles à défaire. Pendant longtemps, on croyait ne pas pouvoir produire du bon vin au Canada et ne pas pouvoir y faire croitre le Vitis Vinifera, les variétés nobles à compter desquelles on fabrique les vins de qualité internationale. En réalité, personne encore n’avait tenté de cultiver ces variétés et surtout pas encore de rechercher les terres sur lesquelles on pourrait au mieux cultiver ces cépages.
Au début des années 1970, des jeunes vignerons canadiens d’origine européenne assez récente, commencèrent à arracher le riparia et le labrusca de la Péninsule du Niagara et d’y planter du vinifera. Ils s’appellent Donald Ziraldo, Paul Bosc, Leonardo Pennachetti, les frères Schmidt, Herbert Konzelmann, Gary Pillitteri et combien d’autres. En quelques années, on a fait la démonstration par la preuve que le Vitis vinifera pouvait s’épanouir de manière spécifique sur le territoire de la vaste Péninsule du Niagara. On a réussi, en trois décennies de grands labeurs, à acquérir les fines connaissances scientifiques des différents terroirs dont la zone est composée et qui, classée comme climat frais, offre des conditions idéales à la cultures de nombreux cépages, tant de blancs que de rouges. On y reviendra plus en détail plus loin.
On ne peut rien faire de bon avec des cépages hybrides ou rustiques ?
Ici encore des généralisations, des généralités ! Examinons la question d’un angle un peu plus organisé !
Pendant longtemps au Canada, surtout sur le territoire de la péninsule du Niagara, on a produit des vins à compter de cépages hybrides, rustiques et résistants au climat rigoureux du Canada. On cultivait à peu près n’importe lequel cépage n’importe où, sans avoir fait grande recherche sur l’adéquation des variétés sur les terroirs et de plus, les méthodes de vinification étaient au mieux correctes et plutôt « génériques », c’est à dire que l’on procédait de manière à construire des vins sans aucun égard aux qualités issues des cultures sur les parcelles particulières. C’est connu, chaque parcelle de terroir s’exprime de manière particulière selon les cépages utilisés. La manière de les cultiver, la viticulture, va beaucoup influer aussi sur le résultat final, on le verra plus tard en détail.
Et lorsque la vigne est cueillie, on va la vinifier de manière homogène selon sa provenance, laisser s’épanouir le jus ainsi réalisé dans sa propre cuve. Et plus tard, on va soit décider de l’embouteiller lui-même selon sa propre singularité ou on va mener les recherches d’assemblage nécessaires à unir le jus de deux ou plusieurs terroirs et selon des proportions qui vont conduire à donner plus ou moins de caractère ou d’équilibre au produit ainsi assemblé. Ce processus va se faire avec des cépages d’origine Vinifera ou autres, peu importe. L’important est d’avoir bien sélectionné les variétés qui vont le mieux réussir aux sols et climats de l’endroit. Ce choix se fera seulement au prix d’une recherche soignée accompagnée la plupart du temps d’expérimentations longues et onéreuses. Rappelez-vous que la vigne mets trois ans avant de produire son premier fruit.
Récapitulons un peu pour constater que pendant plus d’un siècle, sur la péninsule du Niagara on y a cultivé des hybrides n’importe où. Au début des années 1970, après études appropriées et essais, on s’est mis à constater que l’on pouvait réussir avec grand succès la culture de Vinifera. Est-ce vouloir dire que la culture d’hybrides était inutile et ne pouvait donner de bons résultats ? Non, car il s’agit d’une équation à plus d’un seul inconnu.
En réalité, le même principe s’applique pour n’importe laquelle variété. Les études appropriées de terroir, une viticulture adéquate et une vinification achevée conduisent à l’élaboration de vins réussis. Leur type de cépage va lui donner son caractère singulier. Si le gewürztraminer n’est pas cultivé sur le bon terroir, faisant l’objet d’une viticulture délabrée et vinifié n’importe comment, vous constaterez que le résultat ne sera pas très brillant ni en arômes ni en goûts.
Aujourd’hui, certains vignobles Canadiens ont repris la culture du maréchal Foch pourtant réputé autrefois pour ses vins décapant et d’une médiocrité sans pareille, mais réussissent aujourd’hui à vous produire des vins d’une finesse et d’une singularité qui séduisent les palais les plus exigeants. Essayez de mettre la main sur un Marechal Foch de Quail’s Gate de la vallée de l’Okanagan ou de celui de Malivoire sur la péninsule du Niagara, il sont une pure merveille d’équilibre, de complexité et surtout d’une singularité que seule sa variété peut lui conférer. C’est un vin qui ne ressemble à aucun autre !
Un vigneron de la petite localité de Ripon situé dans le sud-ouest du Québec (André Cellard du Domaine des Météores) a réussi à repérer un terroir situé sur un micro climat idéal à la culture de la vigne. Lui-même chercheur pendant un quart de siècle dans des institutions universitaires, il a fait ses devoirs pour identifier les cépages adéquats à ce terroir. Il y a introduit quelques variétés hybrides qui, au prix d’une viticulture soignée et d’une vinification finement ordonnée, offrent des résultats qui ont fait sursauter d’éloges tant les observateurs les plus sévères provenant d’Amérique que ceux de l’Europe la plus réputée. Le micro climat y est si adéquat qu’il n’est même pas nécessaire d’y renchausser les vignes jusqu’à la moitié des plants pour les protéger du gel comme on doit le faire obligatoirement à chaque automne dans des zones réputées encore plus chaudes telles celles du plein sud du Québec (région de Dunham) ou la région du Prince Edward County en Ontario.
Cépages ou appellations ? Cabernet Sauvignon ou Château Giscours ?
Comment aujourd’hui, aborder la connaissance du vin ? Dans le vieux monde, on a développé l’identification des vins à compter des noms qui leur ont été donnés, ce qui corresponds la plupart du temps à des réalités de références familiales, locales ou d’origine géographique précise. L’arrivée du système des appellations d’origine contrôlées en 1936 en Europe (la France en premier) a contribué à codifier ces manières de doter les vins d’une identité nominale. Jamais on a songé à identifier les vins par les cépages dont ils sont issus.
Par exemple, en Bourgogne, tous les vins rouges sont issus du pinot noir et la vaste majorité des blancs à partir du chardonnay (à l’exception d’une petite proportion faite à partir de l’aligoté). Chaque vin porte d’abord le nom du village ou du lieu dont il est originaire et on va souvent ajouter le nom de la parcelle précise de terroir où il est cultivé. Indiquer le nom du cépage sur l’étiquette serait perçu comme une redondance dans ce cas. Mais l’important, partout en Europe, est d’indiquer une identité du vin par rapport à une référence intime de famille ou de lieu d’où il est originaire. Cet exemple, où tous les vins sont produits du même cépage, est sans doute évident et la plus simple à expliquer. Mais la majorité des zones de production vineuse dans le monde font appel à des assemblages de deux ou plusieurs cépages pour produire leurs vins.
Dans le Bordelais, une majorité de zones de production fait appel aux assemblages pour élaborer leurs vins. Dans le monde du vin, on en est venu à appeler les vins assemblés des cépages typés de la région de Bordeaux, des vins de « type Bordeaux ». Dans l’esprit du respect de l’utilisation des noms spécifiques liés aux appellations d’origine, on a dû, au Nouveau Monde, inventer un terme qui signifie « vin d’assemblage de type Bordeaux », ce terme est le « méritage » (combinaison des mots mérite et héritage mis au point par Neil Edgar, un Californien de Newark). Le terme est devenu encore davantage spécifique et soumis à une définition très restreinte et aux règles d’appartenance à l’association qui en régie l’utilisation.
Au Nouveau Monde, on a démarré la culture de la vigne pour la production du vin bien plus tard au cours de l’histoire et on a, peu à peu, voulu identifier ses produits par rapport aux cépages. On utilise cette identification d’abord sur les cuves de vinification, ensuite sur les barils de vieillissement et on les répercutait sur l’étiquette des bouteilles, simplifiant ainsi l’usage des mêmes codes identitaires dans tout le processus de fabrication du vin. Pour compléter la spécificité identitaire du produit, on ajoutait sur l’étiquette, bien sûr, le nom du vignoble et son millésime. Au Nouveau Monde, on aura un « Chardonnay Cave Spring 2012 ». En Bourgogne, on vous proposera un « Chablis Laroche 2012 ».
Les cépages dominants en Ontario