BACK CHANNEL TO CUBA - Critique de livre par Jean-Pierre Juneau

Jean-Pierre Juneau

''Back channel to Cuba.The hidden history of negotiations between Washington and Havana'' par William M. LeoGrande et Peter Kornbluh , The University of North Carolina Press, 2014.

Nous avons avec cet ouvrage rédigé par deux spécialistes de Cuba , un livre particulièrement intéressant qui relate l'histoire des hauts et des bas des nombreuses tentatives de rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba depuis la rupture de leurs relations diplomatiques au début des années 60.

Les auteurs de ce livre de 524 pages ont eu un accès privilégié à plusieurs décideurs tant du coté américain que cubain , et ont pu en outre consulter des archives de politique étrangère dans les deux pays.

L'un des thèmes qui revient constamment dans cet ouvrage , c'est bien celui qui tend à démontrer que chaque fois que Cuba semblait avoir rempli certaines conditions mises de l'avant par les Etats-Unis pour mener à une amélioration de leurs relations, eh bien surgissaient alors de nouvelles conditions que Cuba devrait rencontrer pour que les Etats-Unis acceptent de poursuivre la mise en œuvre du processus de normalisation un tant soit peu engagé.

Il s'agissait d'une sorte de processus à géométrie variable, une valse hésitation dont l'intensité pouvait varier en fonction de chacune des administrations américaines et des différents qui surgissaient régulièrement entre ces deux pays, et dont les responsabilités étaient , faut bien l'admettre , souvent partagées comme le notent judicieusement LeoGrande et Kornbluh.

Ces auteurs citent une multitude d'exemples à cet égard dont deux sont particulièrement dignes d'intérêt .

D'une part , lorsque Cuba a accepté de retirer ses troupes de l'Angola à la suite d'un accord international impliquant plusieurs des parties intéressées par le conflit dans cette région dont naturellement les Etats-Unis, les autorités cubaines s'attendaient comme il avait été entendu , à ce que leurs relations bilatérales avec les Etats-Unis s'engagent plus activement dans un processus d'amélioration plus rapide. Il n'en fut rien. Il faut reconnaître que les Etats-Unis avaient longuement hésité avant d'accepter que les cubains soient invités à participer à ces pourparlers de paix , mais comment aurait-il pu en être autrement puisque Cuba avait envoyé plus de 10,000 militaires depuis leur engagement initial dans ce conflit , en 1975, pour appuyer le leader du Mouvement populaire pour l'Indépendance de l'Angola dirigé par Agostinho Neto , le parti qui a mené la lutte ayant mené à l'Indépendance du Portugal.

D'autre part ,et avec un autre exemple, les auteurs expliquent bien les nombreuses mises en garde que les autorités cubaines ont transmises aux autorités américaines sur une période de plusieurs mois, pour amener les autorités gouvernementales américaines à faire cesser les nombreuses incursions aériennes des ''Brothers to the Rescue'' (BTTR), un groupe animé par un ancien du fiasco de la Baie des cochons du nom de José Basulto . Leurs petits avions survolaient périodiquement le territoire cubain pour y distribuer des documents de propagande anti-Castro. En fin de compte , les autorités américaines n'ont jamais pris les mesures appropriées pour mettre un terme à ces incursions avec le résultat que l'aviation cubaine abattit en 1996 deux avions Cessna des ''Brothers to Rescue'', ce qui mena à un nouvel état de crise entre les deux pays.

On peut aussi mentionner à titre de référence, que durant l'administration du Président George Bush jr., les États-Unis s'engagèrent de nouveau très activement dans une politique visant à promouvoir un changement de régime à Cuba, une sorte de '' Manifest Destiny'' version années 2000 , ce qui eût pour effet de remettre à un futur encore plus lointain toute politique sérieuse destinée à améliorer les relations entre ces deux pays antagonistes.

En guise de conclusion, j'aimerais citer un commentaire de nos deux auteurs, un commentaire qui représente une sorte de recommandation finale adressée aux futurs décideurs américains, que l'on retrouve à la page 417 de leur livre:

'' To finally end the animosity and fear that has characterized US-Cuban relations since 1959, Policy makers in Washington need to accept that Cuba in the twenty-first century will never be again the dépendent, semi-sovereign Cuba that it was in the ninetenth and early twentieth. In that regard, the revolution of 1959 has proved irreversible. Policy makers in Havana need to trust that reconciliation with the United States is possible without putting at risk Cuba's national independance, which Cubans made a revolution to secure ''.

Et oui.

En résumé, un très bon livre d'histoire, intéressant, agréable à lire et bien documenté relativement à une sorte de saga de politique internationale qui perdure depuis déjà trop longtemps entre une super-puissance dominante et un pays en voie de développement dont les valeurs ne concordent toujours pas avec celles que préconisent leur grand voisin.

À suivre donc au prochain Sommet des Amériques à Panama , l'an prochain.

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